On est emportés !
Après la chronique désenchantée et festive Des choses qui arrivent que l’on avait adoré il y a quelques années et un Songe d’une nuit d’été impertinent, la compagnie Les Peps est de retour au théâtre de Belleville avec un spectacle ambitieux qui avait fait salle comble l’an dernier, Le Temps l’emportera. Une nouvelle chronique de la vie, de la mort et de l’amour, entre tendresse et humour.
Ils sont dix sur scène. Enfin onze, si l’on compte le musicien qui accompagne en live les comédiens de sa console, comme un personnage supplémentaire qui dicterait ou accompagnerait leurs émotions. Dix à évoluer sur deux décennies comme si de rien n’était : celle de la jeunesse et de l’insouciance à la fin des années 1990, au lendemain de l’adoption du Pacs et celle de l’âge adulte, plus grave, pendant les années 2010, au moment des attentats du Bataclan. Des destins croisés, entremêlés, bouleversés, des idéaux qui changent (certains, engagés, cessent de l’être une fois qu’ils ont réussi, d’autres gardent le cap coûte que coûte), des envies qui évoluent, des amours qui se séparent quand d’autres se rencontrent. La vie en somme ! Mais en un condensé fort et virevoltant, grâce à une mise en scène au cordeau d’Alexandre Le Nours (qu’on a pu applaudir récemment dans Nu, dans ce même théâtre de Belleville) et Mara Bijeljac.
Voici en tout cas dix personnages qui nous surprennent de bout en bout. Tantôt on les aime, tantôt ils peuvent nous agacer dans les choix qu’ils font, en contradiction avec leurs convictions profondes. Ou au contraire, ils font montre de leur fragilité derrière une force apparente. Il y a Marion et Alexis, couple d’une vingtaine d’années qui s’aime plus que tout et qui fait entrer Selim, homosexuel, dans leurs vies. Il y a Florent et Ghislain, deux jeunes journalistes dont les idées contraires vont s’entrechoquer. Il y a Jessica et Pam, couple de femmes cachant son amour au grand jour, quand l’une des deux voudrait au contraire le revendiquer. Il y a les jumeaux Gabrielle et Charlie, toujours sur en fragile équilibre sur la trajectoire du vide. Et il y a Lola, clown triste rêvant d’amour. Dans une quinzaine d’années, ils vont changer du tout au tout et ce, devant nos yeux.
Pendant une ellipse musicale, ils se griment devant nous, enlèvent leurs oripeaux de fringants pré-trentenaires pour prendre du lest et des rides. Les costumes se font plus sérieux (c’est fini l’insouciance !), les visages, aussi, même si le rire affleure encore quelque fois. Et forcément, le public se tend à l’approche de la date fatidique du 13 novembre 2015…
Le Temps l’emportera aborde des thématiques courageuses (et tendance) : le trouple, la bisexualité, l’homosexualité dans le placard, le suicide, la schizophrénie, les attentats et leurs conséquences, les idéaux qui flanchent, les influenceurs qui gagnent du terrain, les téléphones portables qui remplacent la communication en face à face. Qu’ils soient amants, frère et sœur, ennemis, amoureux naissants, ces dix-là jouent aux adultes alors qu’en fait, ils sont encore des enfants qui ne demandent qu’à aimer et être aimés. Le tout, en musique et quelle musique ! De l’orfèvrerie électro qu’on a envie d’emporter chez soi pour la réécouter encore et encore. Impossible, il faudra donc se rendre au théâtre de Belleville pour découvrir tout ceci en direct. C’est aussi bien.
Le Temps l’emportera, au théâtre de Belleville (16 passage Piver 75011 Paris), les dimanches 4-11 et 18 juin à 17h.
