Cocu tragicomique !
Adaptation d’un roman à succès de Jean Teulé, lui-même inspiré de la vie de Louis-Henri de Pardaillan, marquis de Montespan (le mari de la fameuse Madame de Montespan qui fit tourner la tête de Louis XIV), le spectacle Le Montespan est un bijou d’inventivité, porté par trois comédiens virevoltants. Ou comment la petite histoire l’emporte sur la grande entre humour, drame et décadence.
Si on connaît bien Madame de Montespan pour avoir été la maîtresse en titre de Louis XIV avec lequel elle a eu sept enfants (dont six reconnus légitimement par le roi), son mari a également eu les honneurs d’accéder à la postérité bien malgré lui. Pour avoir été le cocu le plus célèbre de son siècle, tout en ayant tout tenté afin de récupérer sa belle, sa dignité et se venger du roi. En vain. En 2008, le voici devenu héros d’un roman retraçant ses mésaventures dans Le Montespan de Jean Teulé et désormais, il est le protagoniste principal de son adaptation théâtrale, qui se joue à la Huchette avec une bonne humeur communicative.
C’est la cinquième fois que Jean Teulé est ainsi adapté sur scène. On se souvient de la version particulièrement réussie et déroutante de Mangez-le si vous voulez, dirigée par Jean-Christophe Dollé. Le Montespan se devait lui aussi d’avoir sa propre version et c’est à l’autrice et comédienne Salomé Villiers, incarnant entre autres rôles Madame de Montespan, que l’on doit cette réussite. Ils ne sont que trois comédiens sur scène pour incarner pléthore de personnages ayant réellement existé, même s’il incombe à Simon Larvaron (parfait de bout en bout), de revêtir les cornes de ce cocu magnifique qui ne rechigne devant aucune audace pour parvenir à ses fins : il s’acoquine avec des prostituées afin d’attraper une maladie vénérienne à transmettre à son épouse qui en ferait de même au roi. Un échec. Il porte l’habit noir pour se présenter en deuil de son mariage devant le roi. Une effronterie qui courroucera Louis XIV. Il rajoute des rameaux de cerf à son attelage et à son château pour rappeler à quel point il est un mari trompé. Il écrit régulièrement à sa femme pour la presser de revenir et de quitter sa majesté… Autant d’initiatives malheureuses et parfois pathétiques sur deux décennies, qui vont le contraindre à l’exil, lorsqu’il ne passe pas quelque temps en prison par ordre royal. Pour finalement finir sa vie dans la maladie, interdisant à sa femme répudiée de le revoir, afin de ne pas paraître diminué à ses yeux.
La pièce commence pourtant comme une romance qui réchauffe le cœur, avec le coup de foudre réciproque entre les futurs époux. Jusqu’à ce que le mari parte en guerre pour faire fortune et impressionner le roi et que ce dernier ne rencontre Madame de Montespan et jette son dévolu sur elle. Un honneur dont beaucoup de maris de cette époque auraient été enorgueillis. Une disgrâce vécue par Louis-Henri, si épris de son Athénaïs… Ballet incessant passant d’un lieu et d’une époque à l’autre, Le Montespan est un petit bijou de mise en scène (signée d’Etienne Launay) magnifié par d’ingénieux éléments de décor façon théâtre du 18e siècle. Tout paraît comme une bonbonnière aux drapés découpés de manière ciselée, d’où surgissent les comédiens comme des diablotins prêts à livrer cette féroce farce, cette ode au malamour, cette page d’histoire côté baldaquin.
Car si ce que traversent les Montespan confine au tragique, on rit tout de même beaucoup, notamment grâce aux personnages de trublions incarnés par Michaël Hirsch (que l’on avait pu applaudir dans Je pionce donc je suis), héritier des valets mutins de Molière ou Goldoni et dont chaque apparition est une respiration humoristique dans la descente aux enfers des Montespan. Car si on entre en empathie directe avec le marquis, cocu flamboyant d’abord, puis mari délaissé et solitaire par la suite, son épouse est violemment jetée du haut du piédestal où elle pensait trôner. Quand le Roi Soleil convoque la nuit à celles et ceux qui l’ont déçu ou fini de l’amuser, c’est retour impossible à la lumière… Cela gâche bien des vies certes, mais fait également de beaux spectacles comme celui-ci. Et le nom de ces rejetés demeurera pour toujours…
Le Montespan, au Théâtre de la Huchette (23 rue de la Huchette 75006 Paris) jusqu’au 23 avril du mercredi au samedi à 21h.

J’espère que la pièce se jouera en province, car j’adore le roman !
Merci pour cette belle critique !